Les miss contre les islamistes
"El Periódico de Catalunya", Barcelone
Les Marocaines se sont inscrites en masse au concours de la Gazelle de l’Atlas. Signe parmi d’autres d’une attirance croissante de la jeunesse pour le modèle occidental.
Les islamistes ne l’emporteront pas. Nous nous battrons jusqu’au bout. Chez nous, l’élection de Miss Maroc ne se résume pas à une simple cérémonie : il est avant tout question de liberté individuelle et de tolérance. En outre, ce concours représente un espoir pour 14 000 jeunes femmes marocaines, nous n’allons pas les décevoir.” L’organisateur de l’élection de Miss Maroc 2002 [rebaptisée la Gazelle de l’Atlas pour ne pas apparaître comme trop proche des Occidentaux], Anas Yazuli, dispose d’arguments de poids pour défendre sa position. Il ne cédera pas aux menaces des groupes islamistes marocains qui cherchent par tous les moyens à empêcher que se déroule l’élection de Miss Maroc. “La société marocaine ne pense pas comme les islamistes. Chaque jour, ces extrémistes perdent un peu plus d’influence sur la population”, précise Anas Yazuli. Il lui suffit, pour se justifier d’une telle déclaration, de révéler le nombre incroyable de candidates ayant répondu à l’appel. “Avec nos petits moyens, nous avons atteint 14 000 inscriptions. C’est autant que dans des pays comme la France, où ces concours bénéficient d’une très grande médiatisation.”
Anas Yazuli attribue cette avalanche d’inscriptions à “un changement de comportement chez les jeunes Marocaines” qui rompt avec la vieille image véhiculée par la polémique du port du voile en Europe. Les jeunes s’affirment, et ce non seulement par rapport à leur mère, mais aussi par rapport à leurs grandes soeurs. L’élection de Miss Maroc 2002 est d’ailleurs bien mieux accueillie par les familles que l’élection de Miss Rabat ne l’a été en 1999.
“Les islamistes n’ont pas le droit de nous dicter notre attitude”
Ce changement, en grande partie dû à l’influence de la télévision et des émigrés marocains en visite dans leur pays d’origine, s’effectue sans que ceux qui théoriquement devraient le promouvoir - à savoir les partis politiques et les organisations non gouvernementales - apportent leur aide. Les partis politiques ne sont plus du tout crédibles aux yeux des jeunes Marocains.
“Le changement se ressent jusque dans les familles des jeunes filles. Nombreuses sont celles qui se présentent avec le consentement de leurs parents. Tout cela constitue une véritable révolution dans notre pays, d’autant que la plupart des candidates sont issues des classes populaires, qui chez nous sont aussi les plus conservatrices”, ajoute Anas Yazuli.
Au Maroc, la portée du concours de miss dépasse le glamour. Les islamistes le savent et ils comptent bien faire obstacle. Depuis que la date de l’élection a été rendue publique, Anas Yazuli et sa société, Carrefour 9, ont été menacés par téléphone ; quelques jours plus tôt, les islamistes avaient déjà tenté de faire irruption dans les locaux de la société.
Ces islamistes intégristes fustigent le concours de miss, qu’ils considèrent comme un outrage à l’islam. Pourtant, le comité d’organisation a prévu des défilés on ne peut plus vertueux. Les trente candidates qui ont été retenues défileront successivement en robe de soirée, en cafetan, puis vêtues du costume traditionnel de leur province. Mais alors pourquoi une telle opposition islamiste ? Anas Yazuli est d’autant plus indigné qu’à son avis “les islamistes n’agissent pas par idéologie, mais uniquement par intérêt politique”. Il ajoute : “Nous sommes dans une année électorale, ils espèrent gagner des voix en se présentant comme les défenseurs de la religion. Ils avaient pourtant promis qu’ils ne nous harcèleraient pas tant que les jeunes filles ne défileraient pas en maillot de bain. Mais ils n’ont pas tenu leur promesse et aujourd’hui encore ils continuent de proférer des menaces à notre encontre. Le concours aura lieu juste après les législatives de septembre. Nous avons repoussé la date initiale de son organisation pour qu’ils ne puissent pas en faire un thème de campagne.”
D’après Anas Yazuli, les choses sont simples : Abdelila Ben Kiran, un des leaders du Parti de la justice et du développement [PJD, islamiste dit modéré], avait tiré profit de la campagne menée par les islamistes contre l’élection de Miss Rabat en 1999. En effet, il avait tant fait parler de lui qu’il avait gagné un siège de député. “Ils ont gagné grâce à nous et cette année ils comptent nous exploiter de nouveau.” Mais les menaces se font de plus en plus virulentes. Al Tajdid [“Le renouveau”], un hebdomadaire proche du groupe islamiste représenté au Parlement, a qualifié Anas Yazuli de “Salman Rushdie marocain”, et pour les islamistes ce concours n’est ni plus ni moins qu’“un péché, un acte satanique”.
En 1999, à l’occasion de l’élection de Miss Rabat, ces mêmes islamistes avaient appelé la population marocaine à prendre d’assaut la salle de cérémonie afin d’empêcher le déroulement de l’élection. En fin de compte, celle-ci avait bien eu lieu. Il avait tout de même fallu installer un cordon de police et déployer quelque 400 agents de police dans la salle de cérémonie pour éviter toute irruption de groupes d’intégristes. Ces derniers ont exercé une pression telle que, parmi les grands groupes qui s’étaient engagés à sponsoriser l’événement, plusieurs ont préféré se retirer de peur de se retrouver entraînés dans la polémique. Par-dessus le marché, la chaîne de télévision 2M a refusé de retransmettre la cérémonie.
Les jeunes prétendantes au titre de Miss Maroc s’accordent à dire que les islamistes n’ont aucun droit de saboter leur cérémonie. “Ces islamistes déforment le message de l’islam. Nous n’allons pas cesser d’être de bonnes musulmanes simplement parce que nous participons à ce défilé”, affirme Bushra, une ravissante Berbère de 21 ans qui représentera Taroudannt. Et de conclure : “Ces islamistes n’ont pas le droit de nous dicter ce que nous devons faire.”
Antonio Baquero
http://www.courrierinternational.com/mag602/couv1.htm